Accueillir un deuxième enfant : accompagner l’aîné et trouver un nouvel équilibre familial
La naissance d’un deuxième enfant bouleverse profondément l’équilibre familial.
Même lorsque la grossesse est attendue, désirée, préparée, l’arrivée d’un nouveau bébé vient réveiller des émotions complexes — chez les parents comme chez l’aîné.
De la joie à la jalousie, de la curiosité à la colère, toutes ces réactions sont normales et témoignent du travail psychique que chacun réalise pour trouver sa place dans cette nouvelle constellation familiale.
Quand un bébé naît, une nouvelle famille naît avec lui
La psychanalyste Catherine Vanier parle souvent de la naissance comme d’un « remaniement identitaire partagé » : chaque membre de la famille doit se réorganiser psychiquement pour intégrer ce nouveau venu.
Le couple devient une fratrie parentale. Le premier enfant devient frère ou sœur — une identité qu’il n’a pas choisie mais qu’il doit apprivoiser.
Pour l’aîné, cette étape marque la fin d’un monde où il était au centre de l’attention.
La naissance du cadet vient le confronter à l’altérité, au partage, mais aussi à des émotions primitives comme la rivalité et la jalousie. Ces affects, souvent sources de culpabilité pour les parents, sont pourtant constitutifs du développement affectif et relationnel.
L’aîné entre amour, curiosité et jalousie : une ambivalence normale
L’enfant aîné peut vivre l’arrivée du bébé comme une blessure narcissique : l’attention de ses parents se déplace, les routines changent, son espace symbolique est occupé par un autre.
Mais derrière les crises, les régressions ou les comportements provocateurs, il y a souvent un besoin de réassurance.
Les auteures Adele Faber et Elaine Mazlish, dans leur ouvrage de référence Frères et sœurs sans rivalité, expliquent que la rivalité n’est pas un signe d’échec éducatif mais un symptôme du besoin d’amour et de reconnaissance.
Elles insistent sur l’importance de reconnaître les émotions de l’aîné sans les juger :
« Les sentiments hostiles entre frères et sœurs ne disparaissent pas quand on les nie.
Ils se transforment seulement en actions. »
En d’autres termes, permettre à l’enfant de dire qu’il est en colère, qu’il est jaloux, ou qu’il trouve ce bébé « énervant », c’est déjà l’aider à ne pas agir cette colère dans la relation.
Le rôle des parents : entre culpabilité et réajustement
Beaucoup de parents consultent en période de deuxième naissance, inquiets de « faire du mal » à l’aîné ou de ne pas être aussi disponibles qu’avant.
La culpabilité est une compagne fréquente : celle de manquer de temps, d’énergie, ou d’attention.
Pourtant, le rôle du parent n’est pas d’éviter toute frustration, mais d’en permettre la symbolisation.
Le pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott l’a bien montré : c’est dans la relation à un parent « suffisamment bon », capable d’accueillir les émotions sans s’effondrer, que l’enfant construit sa sécurité intérieure.
Dire à son enfant « tu es déçu, c’est normal » ou « c’est difficile pour toi de partager » permet déjà d’apaiser les tensions, en validant son ressenti.
Quelques repères concrets pour accompagner la fratrie
Nommer ce que vit l’aîné : reconnaître sa colère, sa tristesse, sa jalousie. Ces émotions sont légitimes et passagères.
Parler du bébé avant sa naissance, mais sans tout idéaliser : « Il dormira souvent, il pleurera parfois, et toi tu pourras m’aider à le comprendre. »
Préserver des temps exclusifs avec l’aîné. Dix minutes d’attention pleine valent mieux qu’une journée d’agitation partagée.
Éviter les comparaisons : chaque enfant a son rythme, son tempérament. « Regarde comme ton frère… » renforce la rivalité.
Impliquer sans responsabiliser : permettre à l’aîné de participer, mais sans lui confier le rôle d’un « mini-parent ».
Préserver les repères : les routines du coucher, les objets familiers, les rituels du quotidien sont de puissants soutiens de stabilité émotionnelle.
Pour les parents : retrouver leur équilibre
Accueillir un deuxième enfant, c’est aussi réapprendre à partager son temps psychique.
Les premières semaines, la fatigue et la charge mentale peuvent altérer la disponibilité émotionnelle.
Les parents peuvent alors s’appuyer sur des soutiens extérieurs : famille, amis, professionnels, réseaux de soutien parental.
Dans ma pratique, en périnatalité et néonatologie, j’observe que ce moment de transition est souvent une période de croissance psychique pour toute la famille.
Il s’agit moins de « gérer » les émotions que de leur faire une place : celle qui permettra à chacun de grandir avec ce nouveau lien, plutôt que malgré lui.
Pour conclure
Accueillir un deuxième enfant, ce n’est pas seulement « agrandir la famille » : c’est faire naître une nouvelle dynamique relationnelle.
Les liens se redéfinissent, les places se déplacent, et dans ce mouvement, chacun apprend un peu plus à aimer autrement.
La fratrie ne se construit pas dans la perfection, mais dans la reconnaissance mutuelle : celle des besoins, des différences, des émotions.
Et c’est souvent dans ces ajustements imparfaits que se tisse la sécurité affective de toute la famille.
Pour aller plus loin
- Adele Faber & Elaine Mazlish, Frères et sœurs sans rivalité, éd. du Phare – un incontournable, concret et plein d’exemples, pour accompagner les relations fraternelles avec bienveill

