Séparations précoces : comprendre l’impact sur le bébé et son parent
Dans un monde idéal, un nouveau-né devrait être accueilli dans la chaleur et la continuité de la présence parentale, blotti contre la peau de ses parents. Mais la réalité est parfois différente. Naissance prématurée, complications maternelles ou infantiles, hospitalisation en néonatologie : autant de situations qui entraînent des séparations précoces entre le bébé et ses parents.
Ces séparations, même de courte durée, peuvent avoir un impact psychique et émotionnel important. Elles questionnent le rôle de parent et la construction du lien. Pourtant, loin d’être irréversibles, elles peuvent être comprises, contenues et réparées grâce à des gestes simples, une présence ajustée et un accompagnement spécifique.
Pourquoi la séparation précoce est si marquante
Un bébé ne naît jamais seul : il vient au monde avec un bagage de sensations, de sons et d’odeurs, forgé durant la vie intra-utérine. Comme le rappelait Donald Winnicott, « un bébé, ça n’existe pas » sans la relation.
Lorsqu’une séparation survient très tôt, le bébé est privé de ce qui le sécurise :
- La chaleur du corps parental,
- Le son familier de la voix et des battements du cœur,
- L’odeur unique de sa mère ou de son père,
- Le contact des bras et la contenance du corps.
Ces éléments ne sont pas de simples détails : ils sont au cœur de la sécurité affective et du développement neurologique du bébé. Les neurosciences affectives (Catherine Gueguen, Boris Cyrulnik) l’ont bien montré : un bébé a besoin d’être rassuré par ces repères pour réguler ses émotions, développer son cerveau et s’ouvrir progressivement au monde.
Du côté des parents, la séparation crée souvent une sidération : le sentiment d’être tenu à distance, de ne pas pouvoir « faire son rôle » auprès de son enfant. Certaines mères disent : « je ne me sentais pas enceinte, je me sentais malade » ; certains pères confient ne pas savoir comment entrer en relation avec leur bébé dans un environnement médicalisé.
Mon expérience en néonatologie : un lien sous tension
Au fil de mon parcours en néonatologie, en réanimation et en soins palliatifs, j’ai été témoin de ces moments de fragilité extrême. J’ai vu des parents sidérés devant une couveuse, osant à peine toucher leur bébé minuscule, et d’autres envahis de culpabilité : « si je ne peux pas être là, est-ce que mon bébé va m’oublier ? »
Ces inquiétudes sont légitimes. Elles disent à quel point le lien parent-bébé est précieux. Mais elles rappellent aussi qu’il est possible de réparer et de retisser ce lien, même après un début difficile.
Comment réparer et recréer le lien
Heureusement, la recherche et la clinique nous montrent que le lien n’est jamais figé. Même lorsqu’il a été interrompu, il peut être nourri, reconstruit, consolidé.
1. Le peau à peau : un soin fondateur
Bien plus qu’un geste tendre, le peau à peau est un véritable soin relationnel et médical. Il favorise la régulation des fonctions vitales du bébé (rythme cardiaque, température, respiration), stimule la lactation chez la mère, et surtout restaure la continuité sensorielle interrompue par la séparation.
En néonatologie, j’ai souvent vu des bébés s’apaiser, s’endormir ou mieux respirer dès qu’ils étaient posés contre la peau de leur parent. C’est un rappel puissant : la proximité humaine est un besoin vital.
2. La voix et la parole
Un bébé reconnaît la voix de ses parents dès la grossesse. Parler doucement, chanter, murmurer, même dans une chambre de soins intensifs, crée un fil invisible qui relie l’enfant à ses parents. Ces sons deviennent des repères de sécurité et d’attachement.
3. Le toucher ajusté
Quand le contact direct est limité par le matériel médical, poser une main douce et contenante, déposer un linge portant l’odeur des parents, ou créer un rituel de présence permettent de signifier au bébé : « tu n’es pas seul ».
4. Le soutien psychologique
La séparation ne concerne pas seulement l’enfant : elle bouleverse profondément les parents. Pouvoir exprimer sa peur, sa culpabilité ou sa colère, être reconnu dans ce vécu parfois traumatisant, est essentiel pour réinvestir la relation au bébé.
Séparation ne veut pas dire rupture
Il est important de rappeler que ces séparations ne condamnent pas le lien parent-bébé. Comme l’ont montré John Bowlby ou Bernard Golse, l’attachement est un processus souple et évolutif. Ce sont la répétition des petits gestes de présence, d’attention et de réparation qui fondent la sécurité affective de l’enfant.
Les bébés ont une extraordinaire capacité de résilience : ils peuvent traverser ces débuts difficiles à condition que le lien soit soutenu, reconnu et réinvesti.
Quelques repères pour les parents
- Ne pas hésiter à demander à participer aux soins, même symboliquement (changer une couche, tenir une petite main).
- Parler à son bébé, même si l’on se sent maladroit. Les mots comptent moins que la présence.
- Prendre soin de soi : un parent épuisé ou culpabilisé a aussi besoin d’être soutenu.
- Accepter l’aide des soignants et des psychologues : être accompagné permet de traverser cette période sans rester seul avec ses angoisses.
Pour conclure
Les séparations précoces sont des épreuves souvent douloureuses, vécues comme un « mauvais départ ». Elles laissent parfois les parents avec un sentiment d’échec ou de dette envers leur bébé. Mais ces débuts difficiles ne définissent pas toute l’histoire.
Grâce aux gestes simples — peau à peau, voix, toucher, présence — et au soutien psychologique, il est possible de réparer et de retisser le lien. L’attachement n’est pas une ligne droite : c’est une construction faite d’essais, d’ajustements, parfois de retards, mais toujours ouverte à la rencontre.
Dans mon expérience hospitalière comme en cabinet, je constate chaque jour combien la relation parent-bébé, même fragilisée, peut se reconstruire avec force et profondeur. Parce qu’au-delà de la séparation, c’est toujours la rencontre qui compte.
Pour aller plus loin
Livres sur la prématurité et l’hospitalisation :
- Le grand livre du bébé prématuré — Sylvie Louis
Un guide pratique et complet qui répond aux questions des parents : soins en néonat, retour à la maison, suivi médical et lien parent-bébé. - Mon fils, ce petit guerrier : Lettre à mon enfant né, prématuré — Anaëlle Guiné
Un témoignage bouleversant et porteur d’espoir. Écrit comme une lettre d’amour d’une maman à son enfant prématuré, il illustre la force du lien parent-bébé malgré l’épreuve. - Journal de naissance : si fragile et si fort — Anaëlle Guiné
Un carnet pensé comme un compagnon pour les parents d’enfants prématurés : il mêle récit, espaces d’écriture et illustrations, afin d’aider à poser des mots et des souvenirs sur ce parcours singulier. J’ai eu l’honneur d’accompagner Anaëlle dans sa création et d’en écrire la préface. - Dans le Ventre de la Baleine Bleue — Aurore Pouget
Un récit intime et poétique sur la vie en néonatologie et le combat des tout-petits. - Une si petite main — Caroline Moulinet
Un court récit touchant qui redonne de la force aux parents confrontés à la fragilité d’un bébé prématuré. - Et je vous partage l’article « Effets de surprise en néonatologie« paru dans le dernier n° du Journal de pédiatrie et puériculture où j’aborde un thème peu exploré : la place de la surprise en néonatologie. À partir d’une situation clinique d’extrême prématurité, je propose une réflexion sur les effets psychiques de la surprise chez les parents, les soignants, et dans le lien parent-bébé. Accessible via ce lien, gratuitement jusqu’au 18/11/25: https://www.sciencedirect.com/
science/article/pii/ S0987798325001288?dgcid=author